Ingmar Lazar, du piano... Mais du piano plus !

Parmi toutes les merveilles de la Côte d’Azur, il y a les palaces qui ne sont pas seulement traces d’un luxe ancien, mais, aujourd’hui encore, des lieux où l’existence peut être aussi dorée que colorée… Les couleurs dont je parle ici sont celles de la musique. Des couleurs entendues par un dimanche après-midi où le soleil jouait à cache-cache avec la promenade des Anglais. Un temps donc idéal pour aller au concert dans l’un des plus prestigieux hôtels du bord de mer : le Westminster. En ces lieux, on pourrait dire que la devise pourrait être : « toujours plus ! », toujours plus beaux, toujours plus chics, en vérité, ce jour-là, le « plus » avait à voir avec le piano et la manifestation « Piano Plus à Westminster ». Le piano ? Un imposant piano à queue, installé dans le salon « Président ». Ne pouvant pas malheureusement imiter George Sand, qui se couchait sous le piano de Chopin, afin d’en ressentir les vibrations, je m’installais au deuxième rang, à deux mètres à peine de l’interprète, avec la promesse d’une vision parfaite sur ses mains au clavier. L’affaire débuta subito d’une façon extrêmement sérieuse, avec les variations dites justement « sérieuses » de l’opus 54 que Félix Mendelssohn composa en 1841. Dès les premières notes de l’andante sostenuto, les mains d’Ingmar Lazar couraient, virevoltaient, caracolaient sur le piano à une vitesse prodigieuse que l’œil peinait à suivre. L’oreille, elle, était immédiatement captive de l’interprétation à la ductilité sidérante de l’interprète affrontant ces 17 pièces d’une difficulté extrême. Dès les premières mesures, l’on savait que ce moment musical allait faire partie de ceux que l’on n’oublierait pas. Que l’on n’oublierait d’autant moins que nous n’étions que quelques-uns à remplir ce salon, auditeurs privilégiés, comme pouvaient l’être par exemple ceux de Chopin dans l’intimité des salons parisiens. Ceci étant, ce dimanche-là, pas de Chopin au Westminster, car après Félix, vinrent Georges Bizet, Maurice Ravel, César Franck, Johannes Brahms et Franz Liszt. Portée, transportée par cette écoute prodigieuse, j’en étais presque à souhaiter qu’il n’y ait pas de bis pour conserver intacte l’émotion de ces instants… mais, c’était sans compter avec l’enthousiasme sans faille du public et la générosité d’Ingmar Lazar qui se donna à la musique et à nous-mêmes avec une énergie, une générosité qui semblaient inépuisées, peut-être même inépuisables ! Beaucoup de ces pièces sont des petits chefs-d’œuvre de l’écriture pianistique, mais aussi des morceaux de bravoure qui m’ont donné l’envie d’entendre Ingmar Lazar en récital, dans des pièces plus introverties, demandant une intensité intime plus que spectaculaire. Son interprétation au disque de Schubert, la douceur dépourvue d’artifice du début de l’andantino de la Sonate pour piano N° 20 en le majeur, toute en grâce délicate, acheva de me charmer, de me convaincre s’il en était besoin…

Il faut saluer ici la manifestation « Piano Plus à Westminster » créée par Monique Alhaud, présentée ce jour-là par Michel Liethec. Michel Liethec, lui-même clarinettiste, soliste, chambriste, très attaché à la création contemporaine qu’il a défendue sur de nombreuses scènes européennes – telle la création en novembre 2018 du concerto de Krzysztof Penderecki pour flûte, clarinette et orchestre avec Patrick Gallois et l’Orchestre Juventus de Varsovie-, parallèlement à son parcours d’interprète Michel Liethec mène une carrière active de pédagogue – Professeur Honoraire au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris, Professeur au Conservatoire de Nice et les masters classes qu’il prodigue régulièrement dans les grandes institutions étrangères – et son goût pour la transmission explique-t-il , sans aucun doute, sa présentation documentée et très riche de ce concert.Une présentation caractérisée par une grande clarté et exigence, faites pour aiguiser l’écoute ; une présentation, par ailleurs, épicée d’un humour pince-sans-rire qui apportait une plaisante légèreté à la richesse de son propos.

En conclusion : avec ces Rencontres « Piano Plus à Westminster », pas de doute, il n’y a plus aucune raison de haïr les dimanches !