Cannes, son orchestre et, l’Orient au Cœur…

C’est presque un lieu commun de dire qu’avec tel ou tel concert, l’on a fait un voyage. Pourtant, il arrive que ces mots décrivent à la perfection, un instant artistique collectivement partagée…
`Voyageurs, nous le fûmes lors du concert du 30 mars dernier qui voyait se rencontrer les musiciens de l’Orchestre National de Cannes, un chef d’orchestre également compositeur : Johan Farjot, un comédien et metteur en scène franco-syrien Wisame Arbache, une palette de poètes syriens, le tout en un tissage étroit, sensuel et parfois bouleversant de mots et de musiques, cela par les grâces singulières, entremêlées de la musique et des harmonies de la langue arabe et de la langue française.
C’était un dimanche matin, dans la salle de spectacle des Arlucs à Cannes. Une salle située au cœur d’un monde industriel et commercial, une sorte d’échappée culturelle architecturale, dédiée à l’art et à la création, affirmant ainsi en son espace, l’idée séduisante que la culture, nourriture vitale, peut se glisser partout et pour tous.
Tout commença donc avec l’Ouverture sur des thèmes juifs de Serge Prokofiev, après laquelle en écho résonnèrent les mots du poète Ahmad Bacha :
« Sur la route, la mort est différente, les vivants circulent des deux côtés pour ne pas mourir solitaire, la mère refuse de croire à la disparition de ses enfants, elle se touche le ventre, elle quête les traces de leurs petits pieds, elle se touche le sein, la route lui demande où sont-ils… »
Wisame Arbache campé droit au cœur de l’orchestre, tel un instrument de chair et de sang, disait, incarnait ses textes, passant d’un vers l’autre, de l’arabe à leur traduction française. Et, se glissant ainsi d’une langue à une autre, il se métamorphosait, comme s’il y avait deux incarnations de Wisame Arbach, totalement différentes. Différente la tonalité de sa présence et la ligne des mouvements de son corps, différentes les couleurs de sa voix, arabe ou française, changeante selon la musique et les mélismes de la langue qu’il proférait. Deux incarnations complémentaires, indissociables, tel l’Orient et l’Occident…
De poème en poème, de musique en musique, nous sommes ainsi passés, par exemple, d’un texte de la grande poétesse contemporaine syrienne Rasham Omran, aux Danses sacrées pour Orchestre de la compositrice française, née au 19e : Mel Bonis.
Ce matin-là, avait encore ceci de rare que nous étions conviés à y écouter une création. Vivre la première exécution d’une œuvre, quelle qu’elle soit, est d’autant plus intense lorsque le compositeur est vivant, présent, puisqu’il s’agissait, ici, du chef d’orchestre lui-même : Johan Farjot. Burning with then desire to join you, c’est le titre de cette pièce musicale qui affirme en son titre même le désir de la rencontre et de l’union. Une composition inspirée par d’autres poèmes, par d’autres poètes syriens. La présence de Johan Farjot qui dirige par ailleurs l’Ensemble Contraste et la création de cette œuvre, ne devant rien au hasard, puisque Johan Fargo affiche comme profession de foi vouloir :« Décomplexer la musique classique, mélanger les genres et provoquer la surprise lors de concerts inédits, voilà bien la nature profonde de l’ensemble. Le culte de l’amitié, la diversité et la spontanéité des musiciens ainsi que la recherche de ses propres arrangements musicaux permettent ainsi une programmation originale, exigeante et accessible à tous, de la musique baroque et classique, au tango, à la comédie musicale, au jazz et à la création contemporaine. »
Durant de cette heure et demie tout à la fois poétique, musicale, mélancolique et pourtant dansante, ce tissage d’émotions, de sons, de sens et de siècles, construit peu à peu un tout, comme une œuvre en soi.
Par la force et l’originalité de cette proposition artistique, la qualité du soliste et celle de l’Orchestre National de Cannes et de Jean-Marie Blanchard, son Directeur Général et programmateur, lui-même grand amoureux de l’Orient, au fil de ces musiques « savantes », souvent inspirées par les traditions populaires, comme le furent Prokofiev, Bela Bartok ou Johannes Brahms l’on voyageait avec bonheur….ces compositeurs ayant tous, d’une façon ou d’une autre, un lien avec leur propre histoire d’immigration. Au fil de ces poèmes, l’on entendait, l’on éprouvait en soi-même, au plus profond, la question de l’exil et de ses douleurs. Ce matin-là, dans l’auditorium des Arlucs, au lieu de penser la question lancinante et complexe de l’immigration dans sa problématique sociétale, politique, civilisationnelle, conflictuelle, soudain, on la ressentait, on l’entendait, la comprenait différemment, comme si nous étions devenus cet autre, cet émigré, imprégné de sa culture et de sa langue, prenant la route, tout à la fois décidé et terrifié, quittant sa terre et les siens, pour un destin aussi lointain, qu’improbable… Durant toute la durée de ce concert, il y avait dans la salle une émotion palpable, de ces émotions d’autant plus précieuses qu’ à l’instant même, l’on sait , vivre un moment de grâce que l’on n’oubliera pas…
S’il est vrai que l’altérité des cultures peut être un violent obstacle à la compréhension de l’autre, ce « concert », véritable dialogue lyrique entre Orient et Occident, fit ce matin-là la preuve éclatante que la force irremplaçable de l’Art offre, à qui le veut bien, aux delà de la complexité des différences, le partage de notre commune humanité…
WISSAM ARBACHE : Une philosophie de la transmission décrite ici par lui en 2017…
Wissam Arbache est comédien, dramaturge, metteur en scène et traducteur.
Après avoir monté entre autre « le Château de Cène » de Bernard Noël au théâtre du Rond point, et « Murale » de Mahmoud Darwich à la maison de la poésie, à Paris, il s’investît au moyen-orient où il monte notamment « Rituel « de Sadallah Wannous à Damas. De retour en France il met en place un cycle autour de la poésie arabe et sa proximité avec son peuple à l’Odéon théâtre de l’Europe, et un cycle autour des littératures arabes à l’Institut du Monde Arabe. Il traduit de jeunes poètes et auteurs de théâtre. Comédien, il joue entre autre sous la direction d’Olivier Py, Fabrice Melquiot, Denis Guénoun, Yvan Rhis et Valentine Sergo et participe à de nombreux récitals autour de la poésie arabe. À l’Opéra, il monte une mise en espace de « La Damnation de Faust » au théâtre du Châtelet ainsi qu’un « Robert le Diable » à l’Opéra National de Bulgarie à Sofia.
Ces dernières années, parallèlement à ses activités de comédien, il est dramaturge et conseiller artistique et accompagne de jeunes performers dans leurs projet
JOHAN FARGOT ENSEMBLE CONTRASTE

Pianiste au sein de l’ensemble Contraste qu’il crée et codirige avec Arnaud Thorette, formé aux CNSMD de Paris et Lyon, Johan Farjot témoigne d’une intense discographie saluée par la critique (Diapasons d’or, Chocs Classica, Diamant d’Opéra, etc.) et se produit avec des partenaires prestigieux dans de nombreux festivals, scènes nationales, et saisons de concerts en France et à l’étranger. À travers ses quelque 40 enregistrements et 150 concerts annuels, Johan Farjot aborde des répertoires variés et exigeants, et se montre également proche de la création, dédicataire et créateur de nombreuses œuvres d’aujourd’hui. En 2023, il fait ses débuts au Carnegie Hall (NYC).